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L’été va-t-il — enfin — s’installer ? Comment savoir si la pluie risque — encore — de tomber ? Ces questions, somme toute légitimes en août, m’ont servi de prétexte à l’exploration d’un terrain qui ne m’est pas du tout familier : la forêt. Plus précisément la forêt d’Eu, en Normandie, qui abrite une étrange pierre, censée annoncer la pluie. En route pour une première Pause arborée, à la recherche du temps qu’il fait.
Je me suis toujours tenue à distance des forêts. Ces territoires opaques m’ont longtemps semblé d’une lecture confuse, avec des repères indéchiffrables. Leur acoustique, surtout, donne au silence une tonalité inquiétante, propice à nourrir le côté obscur de mon imaginaire. Une branche qui craque, et c’est une bête féroce qui va surgir. La faute, peut-être, à Blanche-Neige.
Heureusement pour moi, ces tourments pèsent peu face à ma grande curiosité. Pour découvrir cette étrangeté qu’est la Pierre Bise, j’ai accepté l’idée que les bêtes féroces étaient probablement assez peu nombreuses en forêt d’Eu, et peut-être pas si féroces. À peine quelques centaines de mètres après le départ de mon périple, comme pour me rassurer, et surtout m’éberluer, un chevreuil est venu à ma rencontre, lui aussi sans doute curieux de savoir qui était cette bête féroce qui le mitraillait avec son smartphone.
Nous nous sommes regardés, chacun à l’affût des réactions de l’autre. Dans cet instant en suspension, je suis redevenue cette gamine de la campagne qui admirait les libellules, chassait les papillons, ou organisait des courses d’escargots. Le chevreuil a poursuivi sa route tranquillement dans les taillis, me laissant sur le bord du chemin avec des émotions venues de loin. Ce jeune chevreuil m’aura permis, à son insu, de faire mes premiers pas apaisés à l’ombre des grands arbres.
La forêt d’Eu est vaste. Elle accompagne la Bresle sur une trentaine de kilomètres, avant que ce petit fleuve ne se jette dans la Manche au Tréport. Tout aussi vaste est son écosystème. La richesse de sa faune et de sa flore ont contribué à lier son histoire à celle des hommes. Le sentier qui me mène vers cette Pierre Bise en porte certaines traces, de différentes époques. Le lieu-dit Rond d’Orléans rappelle que jusqu’au début du XXe siècle, la forêt d’Eu était une propriété royale. Louis-Philippe, qui possédait le château d’Eu, voulant réconcilier les peuples français et britanniques, avait invité la reine Victoria en septembre 1843. Un déjeuner champêtre, réunissant le gratin de l’époque, et marquant cette « Entente cordiale » fut organisé en forêt, précisément à cet endroit. À quelques crinolines près, la clairière a peu changé.
Les arbres sont notre mémoire boisée. Les contempler, c’est aussi contempler le temps passé. Comme ce chêne, baptisé chêne Louise, âgé de plus de 130 ans.
Le « Quesne à Leu », ou chêne au loup en normando-picard, aura vaillamment fait face aux intempéries et aux loups pendant plus de 300 ans, avant de s’écrouler, épuisé, un soir de 2008. C’est à son pied que le dernier loup de la forêt aurait été abattu. Le « quesne » fait souche : son tronc creux héberge désormais ronces, fougères, rongeurs et insectes, prouvant ainsi qu’on peut avoir été, être, et devenir.
Ce chêne centenaire a-t-il vu la Pierre Bise annoncer la pluie ? Peut-être. Il a vécu à quelques mètres de cette roche parée de vertus météorologiques. Selon la légende, cette pierre serait la survivance d’un monument druidique, qui fume quelques heures avant la pluie. Elle doit son nom à sa couleur, bis signifiant gris.
J’y suis allée un jour de soleil mitigé. J’ai bien scruté cette roche, accolée à un hêtre aux pieds de mousse. J’en ai fait le tour, j’ai observé ses courbes, je n’ai vu aucune fumée se dégager, et j’ai donc terminé cette randonnée à travers bois le cœur léger, avec la certitude qu’il ne pleuvrait pas. J’ai peur que le dérèglement climatique n’ait également déréglé la Pierre Bise, il a plu quelques heures plus tard. Peu importe au final que cette pierre ne fasse pas la pluie et le beau temps. Elle m’aura au moins permis d’apprivoiser la forêt. De la regarder différemment.
Au sein de cet écosystème sauvage, chaque bosquet, chaque arbre, est la promesse d’une découverte. Il suffit de marcher, et d’ouvrir les yeux. Moi qui cours, dans tous les sens du terme, après la déconnexion, j’ai pleinement reconnecté avec l’univers arboré.
Rendez-vous la semaine prochaine pour une autre exploration de la forêt d’Eu, deuxième volet de cette série estivale, qui nous mènera des Romains à la Seconde Guerre mondiale.
Pause marine reprendra l’exploration du littoral en septembre ;-)
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
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Parcours
Départ et arrivée : parking du Bois L’Abbé
Distance : 9 km
Dénivelé : 150 mètres D+ / D-
À noter : ce parcours est parfait pour les amateurs de trail.
Cet itinéraire est donné à titre purement indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.