Je voulais le courir depuis longtemps, ce trail. Son seul nom suffit à planter le décor : le trail de la Côte d’Opale. Le 11 septembre dernier, j’ai embarqué mes baskets pour 14 kilomètres entre Audinghen et Wimereux. Récit d’une course à pied… avec les yeux d’une randonneuse.
Si j’ai commencé à marcher, beaucoup, il y a quelques années déjà, c’est pour mieux déconnecter (voir mon livre Passage piéton où je raconte cette expérience). Je passais beaucoup trop de temps en ligne, scotchée aux écrans d’ordinateur et de smartphone, il me fallait plonger mes yeux dans un ailleurs moins pixellisé. Je me suis rapprochée des petits chemins pour m’éloigner du numérique. La marche m’a beaucoup apporté. À un moment donné, j’ai eu envie de passer à la vitesse supérieure. Et c’est ainsi qu’un beau jour, je me suis retrouvée en train de courir, moi qui détestais ça. C’était en 2018, et depuis, je cours par monts et vaux et merveilles. Pourtant, paradoxalement, je crois que je n’aime toujours pas courir ; je suis cette fille rouge et hors d’haleine qui s’accroche aux sentiers, et qui saute de joie après chaque course. Car ce que j’aime dans cette discipline, c’est quand elle s’arrête. D’abord pour récupérer ce qui me reste de poumons, ensuite pour savourer le lâcher d’endorphines, délicieusement euphorisant, qu’elle procure.
Pour pimenter un peu le jeu — et il le faut, parce que pour être tout à fait honnête, je m’ennuie assez vite en courant —, j’ai commencé à saupoudrer mes sorties d’un soupçon de compétition. Je me suis inscrite à des courses à droite à gauche, de ci de là, cahin caha. L’effet dossard n’est pas qu’une figure de style. Il implique une vision plus dynamique de l’environnement. Le temps de course semble passer plus vite : mon cerveau, distrait par l’ambiance et la nouveauté, oublie de dire aux jambes qu’elles en ont assez. Lorsque j’ai découvert les trails, j’ai eu un coup de cœur (au propre et au figuré) : on peut marcher en courant, ou vice versa, selon le terrain. La nature n’est plus seulement une source d’inspiration, elle devient un terrain de jeu. Le trail de la Côte d’Opale, avec ses parcours entre les deux caps (Gris-Nez et Blanc-Nez) et Wimereux, avait tout pour me faire envie : des paysages sauvages, du dénivelé, et la mer pour dernier terrain vague et des vagues de dunes pour arrêter les vagues, et de vagues rochers que les marées dépassent, mais je divague, merci Jacques Brel pour l’inspiration, même si le pays n’est pas si plat. Alors, quand, à la fin des vacances, j’ai réussi à obtenir un dossard, j’étais doublement contente : c’était mon premier dossard après une longue année pandémique, qui plus est sur un trail de légende.
Au menu : la découverte d’un patrimoine magnifique. Le départ du 14 km a lieu à Audinghen, dans un bois avec vue sur mer, le bois d’Haringzelles. Pour y parvenir, il faut passer devant le musée du Mur de l’Atlantique. Et pour cause : cette partie du littoral a été particulièrement fortifiée par les Allemands, qui craignaient un débarquement sur les plages du Pas-de-Calais plutôt qu’en Normandie. Difficile d’imaginer que le bois d’Haringzelles, où s’échauffent gaiement les plus de 700 coureurs en attendant le départ, a été planté par les Allemands il y a quatre-vingts ans en guise de camouflage des batteries Todt. Il abrite toujours des bunkers, d’où les soldats avaient pour mission de tirer sur les navires alliés. Mais aujourd’hui, les seuls navires qui passent sont les cargos chargés de conteneurs, dans ce rail maritime très fréquenté.
Et puis arrive enfin le top départ. Ma seule ambition : profiter des 14 km pour respirer les embruns du littoral, et en avoir plein la vue. Après un petit kilomètre, le peloton, déjà distendu, rejoint le trait de côte au cran Poulet. Oui, sur la Côte d’Opale, on ne parle pas de valleuse ou de crique, mais de cran, aux noms étonnants : cran aux Œufs, cran Mademoiselle, cran du Noirda… Je cours à une allure tranquille, en essayant de ne pas trop me laisser distancer, tout en profitant de l’horizon. En temps normal, on peut distinguer les côtes anglaises dans le lointain. Mais pas en ce samedi gris de septembre. Cette grisaille, je l’adore. D’abord, parce que courir en pleine chaleur, vraiment non merci. Ensuite, parce qu’elle donne une tonalité très particulière à l’ambiance. Déjà, le village d’Audresselles se dessine. C’est ici que les falaises s’effacent, et que nous foulons la plage. Je trottine plus que je ne cours, et slalome tant bien que mal entre galets, sable et roches noires.
Après à peine deux kilomètres de plage, Ambleteuse et son fort sont un précieux repère : ils marquent la moitié du parcours. Le temps passe vite, les jambes tiennent sans problème malgré un vent de face, léger et rafraîchissant. Le franchissement de la Slack, tout petit fleuve côtier de 22 kilomètres, annonce l’arrivée des dunes. Ici, courir devient illusoire. Je marche dans le massif dunaire, et savoure la beauté de la côte d’Opale, avant de rejoindre la pointe aux Oies.
Contre toute apparence, j’ai sous les yeux, et surtout sous les pieds, un site préhistorique. La pointe aux Oies abrite en effet une forêt submergée, dont on trouvait encore récemment des souches d’arbres enracinées dans la tourbe. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il y a 5 000 ans, cette plage était recouverte d’une forêt. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder physiquement. Mentalement, oui. J’essaie de me représenter cette forêt millénaire, et oublie que les kilomètres s’accumulent. Le vent souffle, et les kitesurfers sont, aussi, de sortie.

Je regarde ma montre, je regarde le paysage, Wimereux est là, un dernier sprint jusqu’à l’arrivée, j’entends le speaker, j’accélère, et voilà, ça y est, j’ai franchi la ligne, j’ai bouclé le trail de la Côte d’Opale, et je peux fièrement arborer mon t-shirt de finisher. Et souffler. Et savourer. Déjà, dans ma tête, une petite voix me susurre : « Et si on tentait les 25 km l’an prochain ? ».
À très vite pour une nouvelle Pause marine !
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
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Parcours
Départ : Audinghen
Arrivée : Wimereux
Distance : 14 km (mais dans les faits : 12 km et 120 mètres de D +/- d’après ma montre)
Cet itinéraire est donné à titre purement indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.
Accès aux anciens numéros de Pause marine : https://pausemarine.substack.com/archive
Et si on parlait de sobriété numérique ?
Samedi 16 octobre, je serai à 15 heures à la médiathèque de Colombelles, près de Caen, dans le cadre d’une cadre rencontre animée par Timothy Duquesne. Venez échanger autour des usages numériques, pour essayer d’y voir plus clair après des mois de Zoom ou Teams, et pourquoi pas, tenter la sobriété numérique (par la marche par exemple ;-).
Les écrans de l’aventure
À noter également dans vos agendas d’amateurs d’outdoor, ce week-end a lieu à Dijon le festival Les écrans de l’aventure. Ici, les écrans mènent à la reconnexion avec la nature dans ce qu’elle a de plus sauvage, à travers des films d’aventure. Pour sa trentième édition, du 14 au 17 octobre, le festival est présidé par l’alpiniste Élisabeth Revol et est l’occasion, à travers les 14 films en compétition, de découvrir des explorateurs et exploratrices. Sur le site du festival, des films en VOD sont disponibles, notamment les films primés lors des précédentes éditions, l’occasion, par exemple, de regarder le film tourné par Sylvain Tesson lors de son séjour en Sibérie ou de revenir sur la trajectoire étonnante d’Alain Colas, navigateur Bourguignon disparu à bord du Manureva.