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À l’été 1897, à sa sortie de prison, l’écrivain anglais Oscar Wilde vient s’installer sur la côte normande, à Berneval, une petite station près de Dieppe. Seule trace actuelle de son passage, une sente qui lui est dédiée, celle-là même qu’il empruntait pour aller voir la mer. Let’s go.
La petite allée est discrète. Tellement discrète qu’elle n’est pas sur Google Maps. Elle passerait totalement inaperçue si un panneau, discret lui aussi, ne signalait sa présence. Elle porte le nom de celui qui empruntait ce chemin d’une centaine de mètres, tous les jours, pour rejoindre la mer un peu plus loin. Oscar Wilde a trouvé refuge ici, à Berneval, en mai 1897, après avoir purgé deux ans de prison à Reading pour homosexualité...
Emboîter le pas : le chemin est si étroit, qu’il est vraisemblable de supposer qu’Oscar Wilde a foulé, il y a plus de cent ans, la même terre que le randonneur actuel. À sa libération, en mai 1897, il prend le bateau à Newhaven, direction Dieppe (la liaison Dieppe-Newhaven existe toujours), où résidait une communauté anglaise d’artistes et notables. Mais très vite, l’écrivain sent qu’il n’est pas le bienvenu. Il prend alors le pseudo de Sebastian Melmoth, emprunté au roman Melmoth ou l’homme errant, de Charles Maturin, cousin éloigné de Wilde, et s’installe quelques kilomètres plus loin, à Berneval, dans le seul hôtel du village, l’hôtel de la Plage.
Aujourd’hui, l’hôtel n’existe plus que dans les cartes postales. Comme l’ensemble du village, il a été détruit pendant la dernière guerre. Berneval a en effet servi de point d’appui aux forces alliées pour tenter un débarquement à Dieppe en 1942, et sera bombardé. Alors, pour suivre la trace d’Oscar Wilde, il faut arpenter les rues proprettes actuelles en faisant un effort d’imagination. La descente à la mer est toujours là, heureusement. « La mer a une jolie plage, vers laquelle on descend à travers un chemin creux, et la terre est couverte d’arbres et de fleurs, tout à fait comme dans le Surrey », notera Oscar Wilde dans une correspondance.
Wilde apprécie la baignade et le bon air marin. À cette époque, la plage accueillait quelques cabines. « Oscar Wilde avait sur la plage une cabine contiguë à celle de mes parents, et c'est ainsi que je l'ai connu. J'en ai conservé le souvenir d'un voisin fort aimable et d'un homme de forte corpulence » écrira plus tard un enfant de l’époque dans un livre de souvenirs1. Berneval n’accueille plus aujourd’hui de cabines l’été. Peut-être parce que la vue a changé, et qu’elle a désormais pour voisine l’imposante centrale nucléaire de Penly.
Wilde semble apprécier la compagnie des habitants, qui ignorent son passé et sympathisent avec cet anglais affable. Il organise des fêtes pour les enfants, s’installe dans un chalet, où il a plus d’espace qu’à l’hôtel, mais il continue d’y prendre ses repas. Il envisage même de se faire construire sa propre maison. Il reçoit des visites, notamment celle d’André Gide, qui notera après la mort de l’écrivain, dans son In Memoriam, combien la prison avait changé Wilde : « Ceux qui n'ont approché Wilde que dans les derniers temps de sa vie, imaginent mal, d'après l'être affaibli, défait, que nous avait rendu la prison, l'être prodigieux qu'il fut d'abord. » Ce « viveur », comme le décrit Gide, va reprendre pied à Berneval. C’est dans son exil normand qu’il va écrire sa dernière œuvre, Ballade de la geôle de Reading, long poème qui raconte l’histoire de Charles Thomas Wooldridge, condamné à mort et pendu à Reading — où Wilde a également été incarcéré — pour avoir tué sa femme.
Mais alors qu’il s’est intégré à la population, l’identité véritable de l’écrivain va finir par être découverte. Sa réputation sulfureuse et sa tromperie passent mal. Après trois mois de séjour, Wilde quitte Berneval en septembre 1897. Il mourra à Paris trois ans plus tard. Seule cette sente qui porte son nom évoque la présence de l’écrivain dans la petite station. Le temps et les guerres ont effacé toutes les autres, et ont radicalement changé la physionomie du village. Mais il suffit de prendre un peu de hauteur, sur les falaises voisines, pour comprendre que l’horizon sera toujours une source d’inspiration. Et d’apaisement.
À la semaine prochaine !
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
Parcours
Départ : parking de la plage
Distance : 2 km pour rester dans l’environnement proche de Wilde
Cet itinéraire est donné à titre indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.
Alin Caillas, Histoire de Berneval-le-Grand, 1968