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Deuxième épisode de la saga estivale en forêt normande (épisode 1 à lire ici). Explorer le monde sylvestre, c’est aussi explorer l’histoire. La forêt est une terre de souvenirs. En une après-midi et une vingtaine de kilomètres, j’ai emprunté les sentiers boisés comme on lit une frise historique, passant de l’époque gallo-romaine à la Seconde Guerre mondiale. Qu’il s’agisse de la ville de Briga ou des rampes de lancement des missiles V1, la forêt a joué un rôle essentiel, dont on ne peut prendre conscience qu’en marchant.
Pour respecter l’ordre chronologique, je suis partie par un beau matin en direction de Briga. Cette ville gallo-romaine, située au commencement de la forêt d’Eu, a été redécouverte au XIXe siècle après plus de mille cinq cents ans de repos sous les hêtres et les ronces. Elle avait été entièrement cachée par les arbres, qui avaient pris les ruines sous leurs branches, veillant sur elles et les conservant pendant plus d’un millénaire. À la faveur du percement d’une route en 1810, la forêt a commencé à livrer quelques secrets : elle avait été habitée aux premiers siècles de notre ère. Briga, d’abord appelée Augusta par les premiers découvreurs, est depuis deux cents ans l’objet de fouilles plus ou moins intenses selon les périodes.
Sur le plateau, au milieu des bois, la ville a accueilli au temps de sa splendeur jusqu’à 5 000 âmes. La forêt fournissait alors à la fois de quoi manger et de quoi chauffer, et faisait également office de frontière naturelle. Lorsque la ville a été peu à peu abandonnée suite aux raids barbares, puis à des glissements de terrain, la forêt est alors devenue une sorte de cocon pour les ruines, les préservant du temps qui passe. « Il y a là une ville gisante sous les broussailles » écrivait en 1872 l’abbé Cochet, qui a contribué, par ses fouilles, à donner de la visibilité à la cité antique. Difficile d’imaginer aujourd’hui que ces vestiges représentent un grand temple, des thermes, un amphithéâtre et des habitations. Mais un tour sur Google Earth, et la ville prend forme.
Je traverse Briga en empruntant la petite route dont le percement a permis de la faire renaître, et qui aujourd’hui l’éventre. Je quitte la civilisation gallo-romaine sur la pointe des pieds pour m’enfoncer dans la futaie. Je ne peux pas m’empêcher de penser que sous mes pas dorment les témoignages de deux mille ans d’histoire.
Dans cette forêt toute en longueur, j’ai repéré un itinéraire parfait : toujours tout droit. Facile à mémoriser. Je n’ai pas un sens de l’orientation très développé, j’ai en revanche, et de manière assez contradictoire, une foi assez inébranlable en lui : je sais, quel que soit l’endroit, que je vais toujours retrouver la lumière. Je mettrai peut-être quelques kilomètres en plus, mais j’y arriverai. Chemins, sentiers, routes, je fais feu de tout bois et de tout détour. Je veux voir du pays et des écorces ; je veux faire le plein de sons et de silences ; je veux capter l’odeur de la forêt en été ; je veux découvrir ses ombres et ses lumières. Je n’ai plus qu’à marcher. Simple, basique. Contrairement aux bois champêtres de mon enfance, cette forêt est organisée. Elle laisse la possibilité de se perdre, mais grâce à ses emblématiques poteaux en fonte judicieusement installés à quelques carrefours stratégiques, elle offre des repères salvateurs.
Rassurée, je trace ma route, guidée par mon instinct précaire, les oreilles à l’affût, l’œil aux aguets, le nez en l’air. Je suis totalement connectée à mon environnement, connectée, aussi, à Google Maps de temps à autre juste pour vérifier que je ne fais pas un écart trop grand. J’avoue avoir parfois du mal à résister à l’appel d’un petit sentier sur le bord du chemin. Et si j’allais voir ? Et si j’allais explorer ? Et si...? Cette forêt est pleine de « Et si ? » et de points de suspension qui alimentent mon moteur interne.
Ainsi, de détour en digression, les dix kilomètres qui me séparaient de mon but se sont allongés sans que je m’en rende compte. Tant mieux. Il faut prendre son temps pour avancer dans le temps, pour passer des premiers siècles de notre ère à la Seconde Guerre mondiale. Point commun entre les deux époques : la canopée et les taillis qui ont protégé les ruines de Briga pendant plusieurs siècles ont également joué un rôle de cache efficace pour le chantier allemand de lancement de missiles V1 en direction de l’Angleterre. Elle n’est, à vol d’oiseau, qu’à une centaine de kilomètres. La forêt d’Eu était un emplacement de choix pour lancer ces bombes volantes sur Londres. En tout, 21 sites ont été disséminés dans la forêt, et sont aujourd’hui accessibles pour mémoire.
Ces lieux ne sont désormais que verdure et chants d’oiseaux. La paix a fait son œuvre. Dans le souffle du vent, les stigmates du fracas passé — chemins bétonnés, casemates, trous béants dans la terre… — rappellent au passant que nature et nature humaine cohabitent parfois de manière étrange.
Rendez-vous la semaine prochaine pour le troisième et dernier volet de mes micro-aventures forestières : à la recherche d’antiques verreries.
Pause marine reprendra l’exploration du littoral en septembre ;-)
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
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Parcours
Départ et arrivée : parking du Bois L’Abbé
Distance : 23 km
Dénivelé : 300 mètres D+ / D-
À noter : ce parcours est parfait pour les amateurs de trail.
Cet itinéraire est donné à titre purement indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.
La forêt abrite un drôle de jardin extraordinaire : un jardin jungle. Charles Boulanger, botaniste passionné, a réussi le tour de force de faire cohabiter des bambous, des lianes, des eucalyptus et des espèces beaucoup plus rares avec des hêtres ou des jacinthes des bois, sous le climat normand. Cet endroit étonnant, qui conserve une âme sauvage, se visite tous les jours ou sur rendez-vous : Jardin Jungle Karlostachys.