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On les appelle les bas-champs, et même les Bas-Champs. Les capitales ne sont pas anodines, elles gravent le paysage dans son histoire et lui assurent une postérité. Ce n’était pourtant pas gagné : jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, cette langue de terre picarde était recouverte par la mer, et servait de mouillage aux bateaux du port d’Ault, alors un des ports les plus importants du nord de la France. Aujourd’hui, le petit village d’Ault n’est plus un port, et les Bas-Champs, protégés par une digue de galets, abritent désormais un « hâble », un écosystème d’une incroyable diversité. Idéal pour marcher, courir, mais surtout observer.
Qu’est-ce qu’un hâble ? Le mot n’est pas dans les dictionnaires. Nulle trace dans le Robert ou le Larousse. Après une rapide recherche, ce mot semble n’apparaître que pour désigner le Hâble d’Ault, et dériverait de havre, dont il est synonyme. De fait, c’est une impression très apaisante de se déplacer dans ce vaste lieu de plus de 4 000 hectares. Peut-être parce qu’il est sous le niveau de la mer. On y progresse avec la sensation d’être à l’abri des fracas du monde. Et des vagues : alors qu’elle n’est qu’à quelques mètres, la mer est très discrète ; on ne la voit pas, on l’entend à peine, le vent est freiné dans sa course, grâce à cette longue digue de galets, frontière naturelle de plusieurs kilomètres entre le monde maritime et le monde terrestre.
Porte d’entrée de la baie de Somme, le hâble laisse derrière lui les falaises normandes, qui, usées, érodées, se prolongent sous la forme polie et pixelisée de ces magnifiques galets gris et bleus. Grâce à ce long cordon, ce havre a pu devenir une vaste plaine humide, paradis pour la faune, la flore, et le promeneur à l’affût. Entre marais asséchés, mares d’eau douce, étangs, gravières, le paysage est varié malgré son absence de relief.

En partant d’Ault, le chemin n’est pas balisé. Libre à chacun de se perdre dans ce méandre, délimité par les parcelles et les étendues d’eau, dont beaucoup sont privées et réservées à la pêche et à la chasse, avec des huttes aménagées.
Ici, la marche n’est pas une expérience complète si elle ne s’accompagne pas d’une mise en alerte de nos capteurs naturels : la vision, l’odorat, mais peut-être surtout l’ouïe, sont des vigies très sollicitées au fil de la pérégrination. Tout fait sens, la nature des bas-champs s’écoute, se renifle, s’observe. Le monde extérieur nourrit le monde intérieur. L’aventure est au bord du talus : quel animal, quel végétal, vais-je croiser ? Ce sont les seules questions qui emplissent l’esprit, et c’est tant mieux. Tout ce qui peut ordinairement polluer nos pensées est balayé par le paysage. Adieux octets, visios, alertes en tous genres, smartphone qui vibre, bonjour gravelots, sarcelles et cygnes sauvages. Chaque motte de cette terre maritime abrite un habitant, parfois même totalement inattendu, comme cette étonnante araignée, sans toile, mais amatrice de galets.
Dès le départ, il faut saluer l’abnégation du petit chou marin, espèce protégée, qui pousse au milieu de nulle part. À cette période de l’année où il commence à fleurir, le chou marin transforme étrangement les galets en jardins, et donne une touche de couleur à cet environnement minéral.
Il n’est pas le seul à s’obstiner : on croise aussi l’euphorbe des dunes, petite maline qui réussit à se faire une place au milieu des galets, malgré son nom. Ou encore le brocoli sauvage, également appelé passerage, parce qu’il était censé guérir de la rage du temps où celle-ci sévissait. On peut encore compter sur le pavot cornu, et ses fleurs jaunes, pour égayer la vue.
Mais les stars du marais ne poussent pas au bord du chemin. Elles ne se laissent pas facilement approcher non plus, comme toute star qui se respecte. Il faut venir armé de patience et d’un appareil photo, les yeux levés au ciel. Car ici, les stars volent : le hâble d’Ault est une réserve avifaune qui abrite plus de 200 espèces différentes. Il y a la mouette rieuse, bien sûr, qu’on ne présente plus, et qui est un peu la régionale de l’étape. Tout comme le gravelot, qu’il soit petit ou grand, voire « à collier interrompu ». Ou les canards, dont on découvre ici l’incroyable diversité, et les très poétiques appellations : colverts, canards souchets, fuligules milouins et morillons, ou encore sarcelles d'été (pour la petite histoire, ces dernières s’appellent cacharel en Camargue, et ont inspiré la marque de vêtements et parfums). On reconnaîtra le vanneau huppé à son cri très particulier, et à son vol qui, à cette période de l’année, semble parfois un peu déjanté avec des sortes de piqués acrobatiques visant à séduire madame. Je mentionnerai aussi le traquet motteux juste pour le plaisir d’écrire son nom improbable, et parce que cet original va faire son nid dans les terriers de lapins. Comment ne pas parler également du cygne, dont le vol emplit le silence de sa grâce ? Et les hirondelles, parce que je n’en avais pas vu depuis très longtemps... Les oiseaux sont ici chez eux, ils donnent à voir et à entendre. Ils peuplent l’air avec élégance. Avec l’eau et la terre, ils incarnent le troisième élément.
Les kilomètres défilent sans que l’on s’en rende compte. Mais la distance n’a aucune importance, elle est absorbée dans l’observation de cette nature généreuse. Cette balade s’achève ici, la tête en l’air, comme elle aurait pu s’achever un peu plus loin, les pieds sur terre.
À la semaine prochaine !
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
Parcours
Départ : parking d’Ault-Onival
Distance : 7 km, mais la vadrouille peut être plus longue ou plus courte selon le temps et l’envie.
À noter : tous les ans au mois de mai avaient lieu, avant le covid, les courses du Hâble d’Ault : 10 km et semi.
Cet itinéraire est donné à titre indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.