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À force de côtoyer le littoral, il fallait bien que ça arrive : j’ai fini par marcher sur l’eau. Rien de miraculeux. Juste un tour de passe-passe à marée basse pour explorer ce drôle d’endroit, mi-terrestre, mi-marin, mais surtout lunaire, qu’est l’estran.
Quand j’étais gamine, j’avais une adoration pour la Méditerranée, ses plages de sable, sa côte d’Azur et surtout, sa mer toujours présente, ne manquant jamais à l’appel, prête à accueillir des baigneurs à toute heure de la journée, au même endroit, service non stop. Puis je me suis installée au bord de la Manche. Et là, les premiers vers de cette poésie apprise à l’école me sont revenus : « La mer s'est retirée, Qui la ramènera ? La mer est démontée, Qui la remontera ? » Oui, qui ? Après toutes ces années passées à arpenter le trait de côte, je n’ai toujours pas la réponse. Personne ne ramène jamais la mer, personne ne la remonte, la mer va et vient au gré de ses humeurs et de la rotation de la lune autour de la terre. C’est implacable, et c’est très bien ainsi. Cela donne à l’estran et à ses hôtes une dimension totalement à part. Cette bribe de terre devient en alternance, l’espace de quelques heures (un peu plus de six heures, 6h13 précisément si l’on divise les 24 heures et 50 minutes que met la lune pour faire le tour de la Terre), un lieu dévolu à la mer, en proie aux vagues, aux poissons, à la salinité, réservé à ce qui nage et flotte. Avant de céder la place aux pieds sur terre. Et ainsi de suite.
La portion de l’estran que j’ai choisi d’explorer est picarde, et rocheuse. Elle part du Bois de Cise, une valleuse charmante et boisée qui donne accès à la mer par un escalier. Les jours de tempête, la vue plongeante sur les vagues déchaînées à marée haute donne l’impression d’être au cœur de la furie. Mais en cette journée tranquille de printemps, la mer, jumelle du ciel, s’efface sans heurts et sans soubresauts.
Marcher à marée basse procure un délicieux frisson. Le moment est volé au temps, il faut en profiter avant que les flots ne reprennent possession des lieux. Tout semble suspendu à une respiration éphémère. Le paysage dévoile ses mystères : comment imaginer que les ondes abritent un sol dur comme le roc ? La faute aux falaises normandes, fragiles, friables, dont les éboulements laissent ces traces concrètes, creusées par le temps et le ressac.
On s’aventure prudemment sur le platier — autre nom de l’estran picard — tant il est ici calcaire, fait de milliers de concrétions qui rendent la marche hésitante, et font des yeux de puissants alliés : il faut regarder où on met les pieds. Tant mieux, il y a beaucoup à découvrir. La faune et la flore font véritablement corps avec leur environnement ; on trouve beaucoup de coquillages et mollusques dans les cavités, en mode caméléon. Je n’aurais par exemple jamais distingué cette très jolie huître creuse si je n’avais pas été attentive au sol.
Ou ces moules, totalement accros à leur roche, conversant avec de charmantes patelles.
Ou ce goémon, alias le varech normand. Ce dernier, parce qu’il fait partie de ce que la mer n’emmène pas avec elle quand elle se retire, a laissé son nom à une pratique, le droit de varech, qui donnait le droit de s’emparer de tout ce qui était rejeté par la mer sur ses côtes, et qui a prévalu pendant des siècles, mais qui n’est plus légale aujourd’hui.
Ou cette tomate de mer, une des rares à arborer une couleur un peu marquée dans cet environnement calcaire.
Ou ces bulots, très à l’aise et en nombre, pour le grand bonheur des pêcheurs à pied.
Ou bien, aussi, cette drôle de bestiole échouée, dont on ne serait pas étonné qu’elle vienne d’un univers parallèle.
Et quand on relève la tête, la beauté des falaises donne une dimension poétique à cette marche pleine de rebonds.
Cette sortie ne fut pas très longue en kilomètres, mais proportionnellement plus longue en temps : marcher sur l’eau demande un certain lâcher prise.
Ainsi s’achève cette randonnée entre roche et mer, alors que la marée monte.
À la semaine prochaine !
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
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Parcours
Départ : Bois de Cise
Distance : 3 km
Avis aux traileurs : cette marche d’un rocher à l’autre est parfaite pour travailler la proprioception ;)
Cet itinéraire est donné à titre indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.