Après une pause longue, Pause marine est de retour sur les sentiers et dans les messageries. En ce début 2022 où nous fêtons nos deux années de cohabitation avec un certain virus, j’ai eu envie de grand air et de légèreté. D’une certaine forme de beauté aussi, au propre comme au figuré. J’ai donc mis le cap sur une portion de la Côte picarde qui abrite d’authentiques morceaux de Belle Époque : belles villas, belle vue, et fragments de la belle vie passée. Il y a cent ans, de Mers-les-Bains au Bois de Cise, le XXe siècle démarrait en fanfare. En route pour 10 kilomètres pleins de promesses, entre falaises et Art nouveau.
Cette randonnée à rebours du temps démarre, comme un clin d’œil, sur un lieu d’arrivée : terminus, tout le monde descend en gare du Tréport — Mers. Cette gare, unique en son genre, a longtemps abrité une ligne qui desservait Paris au Tréport — Mers en trois heures. Une sorte de métro aérien avec vue sur mer (ainsi qu’un arrêt à Marseille-en-Beauvaisis, ça ne s’invente pas), couronné par une arrivée magique au son des goélands et des vagues. Las, cette gare n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, les directs pour la capitale, mis en place en 1873, n’ont pas survécu au XXIe siècle et se sont éteints il y a une petite dizaine d’années.
Il faut pourtant imaginer qu’ici, au début du XXe siècle, l’effervescence régnait le week-end. Les délicieusement nommés « trains de plaisir » acheminaient des Parisiens avides de grand air et de bains de mer. On se précipitait sur cette côte où les villas et les hôtels poussaient comme des champignons.
C’est bel et bien d’ici que tout est parti : grâce au train, Mers, qui n’était qu’un petit village de pêcheurs et de fermiers dans l’ombre du Tréport voisin, a pris son essor.
La bourgeoisie, à l’affût de nouveauté et d’espace pour s’adonner à la vogue des bains de mer, a décelé le potentiel de la station, et a transformé le front de mer désert et marécageux en une étonnante enfilade de villas flamboyantes et baroques. Sitôt quitté la gare, l’esplanade, avec son large trottoir, fait en effet un appel du pied. À gauche, la plage et ses galets en pente douce, à droite, une rivalité d’audace architecturale et colorée.
Il faut arpenter l’endroit la tête en l’air. À pas lents. Et l’œil aux aguets. Chaque détail compte. Ici, c’est un nom qui interpellera — à commencer par celui de la première villa, Fée des mers — ; là, c’est un détail de la façade, une céramique, un balcon. Dans cette vitrine en plein air, les styles fusent et interpellent : normand, picard, oriental, flamand, mauresque, ou néogothique se côtoient dans une étonnante mixité.
La fin du XIXe siècle, qui débouche sur une période de faste et de développement, donne des ailes aux architectes et on le voit bien ici. Sous la bannière généreuse de l’Art nouveau, le front de mer mersois s’orne de courbes, volutes et coloris audacieux. On se souvient de la première fois que l’on découvre cette enfilade de maisons, semblant se répondre les unes aux autres, tant le plongeon dans le passé est surprenant. « Faire une digue », comme disent les locaux, c’est remonter le temps sur 700 mètres. Chaque pas plonge le piéton dans l’atmosphère de la Belle Époque, avec en bruit de fond le cri des goélands et le ressac des vagues. Une rue perpendiculaire a conservé un air du temps jadis très marqué, avec, sur une cinquantaine de mètres, quelques-unes des villas emblématiques de la station. La rue Boucher-de-Perthes abrite ainsi une villa ouvragée, avec des bow-windows tout en volutes Art nouveau. Elle est l’œuvre d’Édouard Niermans, à qui l’on doit entre autres le Negresco à Nice ou le Moulin Rouge à Paris. Excusez du peu. Il a créé à Mers plusieurs édifices, dont cette villa, baptisée Jan et Helena, du nom de ses enfants, et un peu plus loin, dans le même esprit la « Villa Parisienne » et la « Villa Française » .
En face, l’étonnante villa Bon Abri, dont les balustrades sont ornées de têtes de cygnes tout en rondeurs. Observez-la bien car elle a deux sœurs, réalisées par le même architecte, Théophile Bourgeois, à quelques kilomètres de là, par-delà la falaise.
Au bout de la jetée, la falaise se mérite. Elle surplombe la plage et nos petits tracas avec une certaine fierté. Les villas s’éloignent, le temps aussi, et désormais seules comptent la nature et la vue, infinie. Cette portion du littoral a beau s’effondrer peu à peu, elle semble intemporelle. Les vagues nous ont précédés ; elles nous survivront. Nos ancêtres ont-ils contemplé ce paysage pur et brut avec ce même regard admiratif que nous avons en découvrant l’horizon ? Victor Hugo, oui, qui a emprunté ce chemin et en a décrit la beauté (voir Pause marine #1).
Cette falaise qui relie Mers-les-Bains au Bois de Cise offre des paysages bruts et préservés, ils coupent le souffle du randonneur, et donnent de la puissance au vent. Ici, la falaise se traverse comme une passerelle intemporelle, qui relierait deux plages début de siècle depuis… toujours.
Après environ cinq kilomètres de sentier vallonné, surplombant les flots d’une soixantaine de mètres, se dessine le Bois de Cise. Cette valleuse inattendue et boisée abrite d’élégantes et discrètes maisons, dont beaucoup ont été construites à la Belle Époque. Au départ simple réserve de chasse, le Bois de Cise et sa plage sont devenus à la fin du XIXe siècle un havre de paix pour industriels parisiens. Aujourd’hui, le randonneur succombe toujours au charme discret du Bois. Il suffit de descendre la délicieuse allée du muguet, ou, mieux encore, de gravir le prometteur chemin du Paradis pour s’en convaincre.
Et puis, au détour d’une route, deux villas en rappellent une autre au promeneur attentif. Des têtes de cygne en ornement d’une toiture ne sont pas sans faire écho à la villa Bon Abri croisée à Mers. Théophile Bourgeois, l’architecte, a également œuvré au Bois de Cise dans son style Art nouveau.
En tout, il a conçu neuf villas sur l’ensemble du Bois. D’autres architectes ont également signé quelques villas, à découvrir en marchant à travers le temps et les allées du Bois, pour capter un air de Belle Époque...
À bientôt pour une nouvelle découverte du littoral !
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
Parcours
Départ : gare de Mers-les-Bains
Distance : ± 10 km aller / retour (avec un retour empruntant la toute nouvelle véloroute du littoral)
Dénivelé : ± 230 mètres (les falaises se méritent)
Un régal en mode trail pour les amateurs
Cet itinéraire est donné à titre indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.