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Le littoral a beau être à ciel et mer ouvert, il n’en est pas moins un lieu de mystère. Au cœur de la baie de Canche, face au Touquet, se cachent, sur une plage, les vestiges d’une station balnéaire, engloutie par les flots un soir de tempête il y a plus de cent ans. L’occasion de découvrir cette baie à l’environnement hétéroclite, entre urbanisation et préservation, entre dunes et marais, entre sentiers boisés et chemin à marée basse.
Une baie est toujours pleine de promesses : biodiversité, grand air, et vue imprenable. Mais je suis partie à la découverte de la baie de Canche avec un objectif assez inhabituel, donnant à l’excursion un petit supplément d’âme : trouver les vestiges d’une éphémère station balnéaire. Je n’aime rien tant qu’arpenter le passé grâce au présent, comme lorsque je pars à la recherche d’une épave visible seulement pendant les grandes marées. Le pied léger et l’esprit aiguisé par la curiosité, j’ai démarré l’itinéraire dans les bois, au cœur de la réserve naturelle de la baie de Canche. Le petit sentier grimpe assez vite et serpente au milieu des arbres, avant d’offrir une vue d’ensemble sur la baie, avec Le Touquet en point de mire. Selon une légende locale, cette « butte aux signaux », qui offre un joli panorama, doit son nom à une pratique des habitants jadis, qui consistait à leurrer les bateaux avec des faux signaux afin qu’ils s’échouent.
Pour rejoindre l’estuaire et continuer la randonnée, il faut brièvement revenir à la civilisation en traversant un axe routier très passant, rappel que la région mêle tourisme de masse en été et nature préservée. Encore un kilomètre dans les bois, puis le paysage change, tout en confirmant cette dualité : le petit sentier rejoint le trait de côte, avec pleine vue sur l’aéroport du Touquet, duquel on entend décoller dans le lointain les jets. Pour la petite histoire, ce site naturel protégé, les Garennes de Lornel, a été le premier acquis par le Conservatoire du littoral après sa création, en 1976, une action qui a permis de stopper un projet de port de plaisance et de marina…
La variété des paysages nourrit le regard du marcheur. En quelques kilomètres se succèdent des sous-bois, des marais, puis ce paysage de dunes typique de la Canche, qui lui confère un aspect désertique, voire, parfois, désolé. D’ailleurs, la première plage de ce côté de l’estuaire a pour nom la plage des Pauvres. Au début du siècle dernier, elle servait de refuge à ceux qui n’avaient pas les moyens de s’offrir Le Touquet. Aujourd’hui, elle fait davantage figure de plage abandonnée : elle n’est accessible qu’à marée basse, avec une mer très lointaine, n’offrant pas la possibilité de se baigner. Le panorama, qui mêle sable et végétation, infuse un goût étrange, renforcé par une laisse de mer où s’amoncellent algues, brindilles, coquillages… et déchets. Le vent a ses habitudes ici.
Et puis, enfin, après trois longs kilomètres dans le sable à marée basse pour délaisser l’embouchure de la Canche, se profile la plage Saint-Gabriel. Vue de loin, elle semble tout aussi désolée que la plage des Pauvres. Presque démunie.
Plus on approche, plus le passé et le présent se côtoient, dans un environnement hésitant entre bric et broc, mais laissant deviner qu’ici, la mer aura toujours le dernier mot. Des enrochements artificiels ont été aménagés pour protéger l’espace dunaire. On distingue dans ce fatras géographique des ruines de briques rouges : les restes du Grand Hôtel de la plage Saint-Gabriel.
Pourtant, sur le papier, ce Grand Hôtel, fer de lance de la station balnéaire Saint-Gabriel naissante, avait tout pour attirer une classe aisée de vacanciers, dans la foulée du Touquet. Il devait être « Le plus joli et le plus confortable de tout le littoral » comme le vantait une brochure de l’époque, tout comme la station promettait « la plus jolie plage de tout le littoral ».
On apprend dans cette même brochure, datant de 1900, que « Grâce aux efforts constants des administrateurs de la Société Anonyme de la Plage Saint-Gabriel […], c'est à pas de géant qu'elle marche vers la renommée et le moment est proche où la Plage Saint-Gabriel, avec son climat salubre et ses sites pittoresques, sera l'une des plus peuplées et des plus fréquentées parmi les stations balnéaires du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme ». Les administrateurs avaient effectivement vu grand : à partir de 1897, une digue de plus de 1 700 mètres de long avait été construite pour permettre aux promeneurs de déambuler, ainsi qu’une vingtaine de chalets, sans oublier le fleuron, le Grand Hôtel.
Mais c’était compter sans les humeurs de la mer, qui se déchaîne parfois sur cette portion du littoral. En 1909, une première tempête mine la digue et les chalets, et fait cesser l’activité du Grand Hôtel, inauguré dix ans auparavant. Puis c’est le coup de grâce en 1912, avec une tempête d’équinoxe, qui éventre ce qui restait du bâtiment.
Depuis, la mer a repris possession des lieux. Elle n’a cependant pas encore totalement effacé toutes les traces de cette éphémère station. À marée basse, le promeneur pourra poser les pieds sur les ruines de la digue, réduite en miettes par les vagues.
À quelques centaines de mètres, la plage Saine-Cécile s’est, elle, développée après-guerre. Le contraste avec sa voisine délaissée est assez saisissant. Au final, la tempête de 1912 a permis à Saint-Gabriel de conserver un côté sauvage.
Pour méditer sur le temps qui passe, et prendre la mesure de l’arrière-pays, je suis rentrée en suivant le chemin de randonnée qui longe la route et passe par Camiers, petit village dont dépendent Sainte-Cécile et Saint-Gabriel.
Ainsi s’achève cette boucle hétéroclite de 13 kilomètres à travers la baie de Canche, à ne faire qu’à marée basse, qui mêle sous-bois et marais, sable et bitume, béton et nature, mais surtout vestiges du passé et présent.
À la semaine prochaine !
Laurence Bril
laurenceblog@gmail.com
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Pour en savoir plus sur Saint-Gabriel et Sainte-Cécile, et sur les stations de la côte d’Opale en général, l’excellent livre Souvenirs de vacances… la côte d’Opale, paru cette année aux éditions Bathysphère, est disponible en librairies et sur le site de l’éditeur : https://www.editions-bathysphere.fr/
Parcours
Départ : parking sur la départementale D148E6 en direction de Camiers venant d’Étaples
Distance : 13 km. Je n’ai pas testé en courant, mais le circuit se prête au trail, à condition d’aimer courir dans le sable (ce qui n’est pas mon cas ;)
Dénivelé : 102 mètres
Attention à bien vérifier les horaires de marée, une grande portion ne pouvant s’effectuer qu’à marée basse.
Cet itinéraire est donné à titre indicatif.
Texte et photos sont la propriété de Laurence Bril. Reproduction interdite.