Pause marine est une newsletter gratuite qui propose d’arpenter le littoral pour le découvrir autrement et pour déconnecter. Pause marine est éditée par Laurence Bril, journaliste et autrice. Si mon travail vous plaît, abonnez-vous, c’est gratuit, sans aucun engagement, et cela m’encourage à continuer. Merci et bonne lecture.
Les tempêtes se succèdent sur la Manche. Le littoral devient une échappatoire pour la mer démontée par le vent. Les vagues enflent et déferlent, soufflent et s’essoufflent avec fracas. Et c’est beau. Alors je suis allée face à ces vagues, je les ai regardées, guettées, décortiquées, admirées. J’ai frissonné avec elles. Chaque vague raconte une histoire brève, celle du ressac, Sisyphe aux pieds d’écume. À peine une vague s’est-elle fracassée que la suivante arrive. Le spectacle est enivrant. Il essore les yeux et l’esprit. Et comme à chaque tempête, j’ai essayé de capter les plus belles vagues. C’est donc à une randonnée statique mais pleine d’embruns que je vous invite pour cet épisode de Pause marine. Pas d’itinéraire précis, juste celui d’une vague.
À bientôt pour une nouvelle découverte du littoral.
Laurence Bril laurenceblog@gmail.com
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Après une pause longue, Pause marine est de retour sur les sentiers et dans les messageries. En ce début 2022 où nous fêtons nos deux années de cohabitation avec un certain virus, j’ai eu envie de grand air et de légèreté. D’une certaine forme de beauté aussi, au propre comme au figuré. J’ai donc mis le cap sur une portion de la Côte picarde qui abrite d’authentiques morceaux de Belle Époque : belles villas, belle vue, et fragments de la belle vie passée. Il y a cent ans, de Mers-les-Bains au Bois de Cise, le XXe siècle démarrait en fanfare. En route pour 10 kilomètres pleins de promesses, entre falaises et Art nouveau.
Cette randonnée à rebours du temps démarre, comme un clin d’œil, sur un lieu d’arrivée : terminus, tout le monde descend en gare du Tréport — Mers. Cette gare, unique en son genre, a longtemps abrité une ligne qui desservait Paris au Tréport — Mers en trois heures. Une sorte de métro aérien avec vue sur mer (ainsi qu’un arrêt à Marseille-en-Beauvaisis, ça ne s’invente pas), couronné par une arrivée magique au son des goélands et des vagues. Las, cette gare n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, les directs pour la capitale, mis en place en 1873, n’ont pas survécu au XXIe siècle et se sont éteints il y a une petite dizaine d’années.
Il faut pourtant imaginer qu’ici, au début du XXe siècle, l’effervescence régnait le week-end. Les délicieusement nommés « trains de plaisir » acheminaient des Parisiens avides de grand air et de bains de mer. On se précipitait sur cette côte où les villas et les hôtels poussaient comme des champignons.
C’est bel et bien d’ici que tout est parti : grâce au train, Mers, qui n’était qu’un petit village de pêcheurs et de fermiers dans l’ombre du Tréport voisin, a pris son essor.
La bourgeoisie, à l’affût de nouveauté et d’espace pour s’adonner à la vogue des bains de mer, a décelé le potentiel de la station, et a transformé le front de mer désert et marécageux en une étonnante enfilade de villas flamboyantes et baroques. Sitôt quitté la gare, l’esplanade, avec son large trottoir, fait en effet un appel du pied. À gauche, la plage et ses galets en pente douce, à droite, une rivalité d’audace architecturale et colorée.
Il faut arpenter l’endroit la tête en l’air. À pas lents. Et l’œil aux aguets. Chaque détail compte. Ici, c’est un nom qui interpellera — à commencer par celui de la première villa, Fée des mers — ; là, c’est un détail de la façade, une céramique, un balcon. Dans cette vitrine en plein air, les styles fusent et interpellent : normand, picard, oriental, flamand, mauresque, ou néogothique se côtoient dans une étonnante mixité.
La fin du XIXe siècle, qui débouche sur une période de faste et de développement, donne des ailes aux architectes et on le voit bien ici. Sous la bannière généreuse de l’Art nouveau, le front de mer mersois s’orne de courbes, volutes et coloris audacieux. On se souvient de la première fois que l’on découvre cette enfilade de maisons, semblant se répondre les unes aux autres, tant le plongeon dans le passé est surprenant. « Faire une digue », comme disent les locaux, c’est remonter le temps sur 700 mètres. Chaque pas plonge le piéton dans l’atmosphère de la Belle Époque, avec en bruit de fond le cri des goélands et le ressac des vagues. Une rue perpendiculaire a conservé un air du temps jadis très marqué, avec, sur une cinquantaine de mètres, quelques-unes des villas emblématiques de la station. La rue Boucher-de-Perthes abrite ainsi une villa ouvragée, avec des bow-windows tout en volutes Art nouveau. Elle est l’œuvre d’Édouard Niermans, à qui l’on doit entre autres le Negresco à Nice ou le Moulin Rouge à Paris. Excusez du peu. Il a créé à Mers plusieurs édifices, dont cette villa, baptisée Jan et Helena, du nom de ses enfants, et un peu plus loin, dans le même esprit la « Villa Parisienne » et la « Villa Française » .
En face, l’étonnante villa Bon Abri, dont les balustrades sont ornées de têtes de cygnes tout en rondeurs. Observez-la bien car elle a deux sœurs, réalisées par le même architecte, Théophile Bourgeois, à quelques kilomètres de là, par-delà la falaise.
Au bout de la jetée, la falaise se mérite. Elle surplombe la plage et nos petits tracas avec une certaine fierté. Les villas s’éloignent, le temps aussi, et désormais seules comptent la nature et la vue, infinie. Cette portion du littoral a beau s’effondrer peu à peu, elle semble intemporelle. Les vagues nous ont précédés ; elles nous survivront. Nos ancêtres ont-ils contemplé ce paysage pur et brut avec ce même regard admiratif que nous avons en découvrant l’horizon ? Victor Hugo, oui, qui a emprunté ce chemin et en a décrit la beauté (voir Pause marine #1).
Cette falaise qui relie Mers-les-Bains au Bois de Cise offre des paysages bruts et préservés, ils coupent le souffle du randonneur, et donnent de la puissance au vent. Ici, la falaise se traverse comme une passerelle intemporelle, qui relierait deux plages début de siècle depuis… toujours.
Après environ cinq kilomètres de sentier vallonné, surplombant les flots d’une soixantaine de mètres, se dessine le Bois de Cise. Cette valleuse inattendue et boisée abrite d’élégantes et discrètes maisons, dont beaucoup ont été construites à la Belle Époque. Au départ simple réserve de chasse, le Bois de Cise et sa plage sont devenus à la fin du XIXe siècle un havre de paix pour industriels parisiens. Aujourd’hui, le randonneur succombe toujours au charme discret du Bois. Il suffit de descendre la délicieuse allée du muguet, ou, mieux encore, de gravir le prometteur chemin du Paradis pour s’en convaincre.
Et puis, au détour d’une route, deux villas en rappellent une autre au promeneur attentif. Des têtes de cygne en ornement d’une toiture ne sont pas sans faire écho à la villa Bon Abri croisée à Mers. Théophile Bourgeois, l’architecte, a également œuvré au Bois de Cise dans son style Art nouveau.
En tout, il a conçu neuf villas sur l’ensemble du Bois. D’autres architectes ont également signé quelques villas, à découvrir en marchant à travers le temps et les allées du Bois, pour capter un air de Belle Époque...
À bientôt pour une nouvelle découverte du littoral !
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Je voulais le courir depuis longtemps, ce trail. Son seul nom suffit à planter le décor : le trail de la Côte d’Opale. Le 11 septembre dernier, j’ai embarqué mes baskets pour 14 kilomètres entre Audinghen et Wimereux. Récit d’une course à pied… avec les yeux d’une randonneuse.
Si j’ai commencé à marcher, beaucoup, il y a quelques années déjà, c’est pour mieux déconnecter (voir mon livre Passage piéton où je raconte cette expérience). Je passais beaucoup trop de temps en ligne, scotchée aux écrans d’ordinateur et de smartphone, il me fallait plonger mes yeux dans un ailleurs moins pixellisé. Je me suis rapprochée des petits chemins pour m’éloigner du numérique. La marche m’a beaucoup apporté. À un moment donné, j’ai eu envie de passer à la vitesse supérieure. Et c’est ainsi qu’un beau jour, je me suis retrouvée en train de courir, moi qui détestais ça. C’était en 2018, et depuis, je cours par monts et vaux et merveilles. Pourtant, paradoxalement, je crois que je n’aime toujours pas courir ; je suis cette fille rouge et hors d’haleine qui s’accroche aux sentiers, et qui saute de joie après chaque course. Car ce que j’aime dans cette discipline, c’est quand elle s’arrête. D’abord pour récupérer ce qui me reste de poumons, ensuite pour savourer le lâcher d’endorphines, délicieusement euphorisant, qu’elle procure.
Pour pimenter un peu le jeu — et il le faut, parce que pour être tout à fait honnête, je m’ennuie assez vite en courant —, j’ai commencé à saupoudrer mes sorties d’un soupçon de compétition. Je me suis inscrite à des courses à droite à gauche, de ci de là, cahin caha. L’effet dossard n’est pas qu’une figure de style. Il implique une vision plus dynamique de l’environnement. Le temps de course semble passer plus vite : mon cerveau, distrait par l’ambiance et la nouveauté, oublie de dire aux jambes qu’elles en ont assez. Lorsque j’ai découvert les trails, j’ai eu un coup de cœur (au propre et au figuré) : on peut marcher en courant, ou vice versa, selon le terrain. La nature n’est plus seulement une source d’inspiration, elle devient un terrain de jeu. Le trail de la Côte d’Opale, avec ses parcours entre les deux caps (Gris-Nez et Blanc-Nez) et Wimereux, avait tout pour me faire envie : des paysages sauvages, du dénivelé, et la mer pour dernier terrain vague et des vagues de dunes pour arrêter les vagues, et de vagues rochers que les marées dépassent, mais je divague, merci Jacques Brel pour l’inspiration, même si le pays n’est pas si plat. Alors, quand, à la fin des vacances, j’ai réussi à obtenir un dossard, j’étais doublement contente : c’était mon premier dossard après une longue année pandémique, qui plus est sur un trail de légende.
Au menu : la découverte d’un patrimoine magnifique. Le départ du 14 km a lieu à Audinghen, dans un bois avec vue sur mer, le bois d’Haringzelles. Pour y parvenir, il faut passer devant le musée du Mur de l’Atlantique. Et pour cause : cette partie du littoral a été particulièrement fortifiée par les Allemands, qui craignaient un débarquement sur les plages du Pas-de-Calais plutôt qu’en Normandie. Difficile d’imaginer que le bois d’Haringzelles, où s’échauffent gaiement les plus de 700 coureurs en attendant le départ, a été planté par les Allemands il y a quatre-vingts ans en guise de camouflage des batteries Todt. Il abrite toujours des bunkers, d’où les soldats avaient pour mission de tirer sur les navires alliés. Mais aujourd’hui, les seuls navires qui passent sont les cargos chargés de conteneurs, dans ce rail maritime très fréquenté.
Et puis arrive enfin le top départ. Ma seule ambition : profiter des 14 km pour respirer les embruns du littoral, et en avoir plein la vue. Après un petit kilomètre, le peloton, déjà distendu, rejoint le trait de côte au cran Poulet. Oui, sur la Côte d’Opale, on ne parle pas de valleuse ou de crique, mais de cran, aux noms étonnants : cran aux Œufs, cran Mademoiselle, cran du Noirda… Je cours à une allure tranquille, en essayant de ne pas trop me laisser distancer, tout en profitant de l’horizon. En temps normal, on peut distinguer les côtes anglaises dans le lointain. Mais pas en ce samedi gris de septembre. Cette grisaille, je l’adore. D’abord, parce que courir en pleine chaleur, vraiment non merci. Ensuite, parce qu’elle donne une tonalité très particulière à l’ambiance. Déjà, le village d’Audresselles se dessine. C’est ici que les falaises s’effacent, et que nous foulons la plage. Je trottine plus que je ne cours, et slalome tant bien que mal entre galets, sable et roches noires.
Après à peine deux kilomètres de plage, Ambleteuse et son fort sont un précieux repère : ils marquent la moitié du parcours. Le temps passe vite, les jambes tiennent sans problème malgré un vent de face, léger et rafraîchissant. Le franchissement de la Slack, tout petit fleuve côtier de 22 kilomètres, annonce l’arrivée des dunes. Ici, courir devient illusoire. Je marche dans le massif dunaire, et savoure la beauté de la côte d’Opale, avant de rejoindre la pointe aux Oies.
Contre toute apparence, j’ai sous les yeux, et surtout sous les pieds, un site préhistorique. La pointe aux Oies abrite en effet une forêt submergée, dont on trouvait encore récemment des souches d’arbres enracinées dans la tourbe. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il y a 5 000 ans, cette plage était recouverte d’une forêt. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder physiquement. Mentalement, oui. J’essaie de me représenter cette forêt millénaire, et oublie que les kilomètres s’accumulent. Le vent souffle, et les kitesurfers sont, aussi, de sortie.
Je regarde ma montre, je regarde le paysage, Wimereux est là, un dernier sprint jusqu’à l’arrivée, j’entends le speaker, j’accélère, et voilà, ça y est, j’ai franchi la ligne, j’ai bouclé le trail de la Côte d’Opale, et je peux fièrement arborer mon t-shirt de finisher. Et souffler. Et savourer. Déjà, dans ma tête, une petite voix me susurre : « Et si on tentait les 25 km l’an prochain ? ».
Samedi 16 octobre, je serai à 15 heures à la médiathèque de Colombelles, près de Caen, dans le cadre d’une cadre rencontre animée par Timothy Duquesne. Venez échanger autour des usages numériques, pour essayer d’y voir plus clair après des mois de Zoom ou Teams, et pourquoi pas, tenter la sobriété numérique (par la marche par exemple ;-).
Les écrans de l’aventure
À noter également dans vos agendas d’amateurs d’outdoor, ce week-end a lieu à Dijon le festival Les écrans de l’aventure. Ici, les écrans mènent à la reconnexion avec la nature dans ce qu’elle a de plus sauvage, à travers des films d’aventure. Pour sa trentième édition, du 14 au 17 octobre, le festival est présidé par l’alpiniste Élisabeth Revol et est l’occasion, à travers les 14 films en compétition, de découvrir des explorateurs et exploratrices. Sur le site du festival, des films en VOD sont disponibles, notamment les films primés lors des précédentes éditions, l’occasion, par exemple, de regarder le film tourné par Sylvain Tesson lors de son séjour en Sibérie ou de revenir sur la trajectoire étonnante d’Alain Colas, navigateur Bourguignon disparu à bord du Manureva.
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Que se passe-t-il lorsqu’on a rangé les vacances dans des valises en carton ? Coquillages et crustacés déplorent-ils vraiment la perte de l’été ? Pour une reconnexion en douceur, il fallait bien une petite musique pleine de mots sucrés. Je suis allée explorer, les pieds dans l’eau, la plage abandonnée par les vacanciers. Abandonnée ? Pas par tout le monde.
Septembre à la plage a le même petit goût fruité, éphémère, que juillet dans une cerisaie, celui de cet entre-deux délicieux, loin de la foule, quand une saison susurre ses derniers secrets à l’oreille de la suivante, à la lueur discrète des couchers de soleil. La ville retrouve son calme, l’horizon aussi, qui fait se télescoper poétiquement lumière d’été et fraîcheur d’automne, et inversement.
Les vacances sont finies, pourtant leur parfum est encore un peu là. La grande roue n’est pas encore totalement démontée, mais le cœur n’y est plus. La fête est finie, la roue tourne parce que c’est son destin. Bientôt, les nacelles retrouveront la terre ferme, elles s’entasseront dans un camion qui les emmènera peut-être passer l’hiver au soleil. La place sera vide, la perspective retrouvera son horizon dégagé, il faudra arpenter les falaises pour retrouver un peu de hauteur.
Marée haute, marée basse, les vagues font et défont les souvenirs sur l’estran. Elles ont emporté pêle-mêle les châteaux forts si fragiles, les baignades à la fraîche, les pique-niques au vent, les apéros à l’abri des cabines, la pêche au pousseux matinale pleine d’espoir, et tout ce qui fait le sel des plages de la Manche. Parfois, bonne fille, la mer recrache un trop-perçu, évocation souvent dadaïste du littoral... et de nos modes de vie.
La plage est donc là, telle qu’en elle-même. Elle retrouve peu à peu son côté sauvage. Elle redevient un espace de liberté où des destins se croisent sans se connaître : humain, animal, végétal, chacun sa trace, chacun sa manière de vivre la mer.
On rencontre bien sûr les habitués, ceux qui façonnent les rivages de la Manche. Le crabe vert en fait partie. Il doit son surnom de « crabe enragé » à son caractère de rebelle, du genre à serrer les pinces s’il se sent attaqué. On le comprend.
Autre habituée, l’arénicole a beau essayer de se cacher dans le sable, elle trace son sillon et se repère très facilement. Ce ver de sable, animal matérialisé en surface par les petits tortillons mignons qu’il sculpte, est un être étrange pour qui n’est pas pêcheur. Si vous voulez briller dans les dîners, parlez des turricules laissés sur la plage, et précisez avec délicatesse qu’il s’agit des déjections, artistiques certes, des vers de sable.
Mais cette année, la vedette de la plage, la star de l’arrière-saison, celle qui profite des dernières chaleurs et des courants, c’est elle : la méduse. J’avoue une certaine fascination pour cet animal. Je ne peux pas dire que j’affectionne sa présence, parfois synonyme de piqûre, mais cet être a une allure fantastique. Ce n’est pas pour rien qu’elle doit son nom vernaculaire à la mythologie des Gorgones. Tout, chez la méduse, intrigue : sa translucidité, son mode de déplacement élégant et feutré, presque hypnotique, sans parler de sa forme, totalement excentrique, qui lui a valu d’être classée pendant des siècles chez les zoophytes, mi-plantes mi-animaux.
Évidemment, pas question de piquer une tête avec cette charmante bestiole pour voisine. Dommage, l’eau est encore bonne — à condition d’aimer les températures toniques —. Ce n’est que partie remise...
À très vite pour de nouvelles escapades sur le littoral !
Laurence Bril laurenceblog@gmail.com
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Troisième et dernier épisode de cette saga arborée (épisode 1 à lire ici, épisode 2 ici). Pour ce dernier rendez-vous dans la forêt d’Eu, je suis partie à la découverte d’une spécificité locale : les verreries. La région, aujourd’hui devenue la « Glass Vallée », produit 70% de la production mondiale de flacons de luxe en verre. Elle doit ce résultat à une activité née dans la forêt normande… il y a 600 ans. Je suis donc partie en vadrouille autour d’une ancienne verrerie, comme on part en voyage dans le temps. Verre et vert, pas seulement une histoire homophone.
On accède à Guerville après avoir serpenté à travers les petites routes sombres de la forêt. Cet aimable village, perdu sur le plateau, ressemble à ses congénères de la France rurale : tranquille, à peine perturbé par quelques chiens qui aboient à mon passage, abandonné des services publics et des commerces, mais cerné par les éoliennes. Difficile d’imaginer qu’au début du XXe siècle, le bourg possédait plusieurs cafés-épiceries, une boucherie, une auberge... Et surtout trois verreries, qui assuraient l’emploi des habitants. La Grande Guerre a balayé cet écosystème. Les verreries ont peu à peu cessé de fonctionner ; cependant, deux châteaux qui les abritaient existent toujours. Située au cœur de la forêt d’Eu, la verrerie de la Grande Vallée a vu le jour en 1769 dans le château du même nom. C’est elle qui est le but de ma randonnée. Pourquoi elle en particulier ? Parce qu’elle a marqué la vie de la vallée par son activité intense et surtout, parce qu’elle a été créée et administrée par une femme, — fait déjà exceptionnel au XVIIIe siècle —, pendant presque cinquante ans. Marie-Louise Angélique de Virgille de la Vicongne était vraisemblablement une femme de caractère : comment expliquer autrement son destin ? Enfant, elle s’est fait manger une main par « un pourceau », mais avait gardé « une dextérité étonnante ». On apprend dans un ouvrage du XIXe siècle sur les verreries normandes que, bien que « douée de beaucoup d'esprit », elle était cependant « d'une originalité étrange » : « elle tutoyait tout le monde. N'ayant pas été favorisée de la nature, elle vécut dans le célibat ; elle repoussa tous les partis qui se présentèrent, persuadée qu'elle n'était recherchée qu'à cause de sa fortune. »1 Après avoir bataillé pour maintenir et développer sa verrerie, elle y mourut, en 1821, à l’âge vénérable de 88 ans. Ce destin étonnant méritait bien un petit périple.
L’ancienne verrerie est située à deux kilomètres de Guerville, en pleine forêt, dans une cuvette qui s’appelle la Grande Vallée, d’où son nom. Le lieu est aujourd’hui privé, mais les cartes postales du début du XXe siècle donnent une idée assez précise de l’endroit tel qu’il était lorsqu’il était une verrerie, où plus d’une centaine d’ouvriers s’activaient. « Cette manufacture mérite d'être visitée. On y trouve de beaux magasins et une longue ligne de maisons habitées par les ouvriers. II y a café, auberge, voie de terre, voie ferrée ; c'est une ville en miniature. Cette cité ouvrière a une rue à laquelle on a donné le nom un peu prétentieux de rue de Paris. » 2
On distingue derrière les bâtiments actuels les vestiges de cette vie. Juste en face, un sentier plonge au cœur de la forêt. Je l’emprunte en écoutant le vent souffler avec gravité dans les arbres. Le silence est de verre. Pourquoi forêt et verreries font-elles si bon ménage ? Comment expliquer que plus d’une quarantaine de manufactures, plus ou moins grandes, ont été implantées dans cette forêt au cours des siècles ? Les réponses sont sous mes yeux : le bois fournit le feu (droit d’affouage) ; les cendres des fougères sont ajoutées comme fondant au sable ; ce sable est drainé par la Bresle, rivière qui traverse la vallée ; et la chaux, présente dans le sol, rentre dans la composition du verre. Enfin, dernier élément qui explique la pérennité des verreries normandes : l’arrivée du train au XIXe, reliant la région à Paris, a accéléré l’industrialisation du secteur. Je regarde le chemin autour de moi, et je n’y vois plus seulement un lieu pour se reconnecter avec la nature. La forêt est un lieu de production. Le verre, alliage du minéral et du végétal, forme un trait d’union parfait entre toutes ces ressources.
Je ne sais pas quel scintillement a attiré mon regard en premier. Des fragments de verre affleurent à la surface du petit chemin de randonnée. Le sol porte encore les traces de son passé verrier. La verrerie a beau ne plus fonctionner depuis presque une centaine d’année, ses abords n’ont rien oublié. Verres pilés, cassés, éclatés, l’histoire ancienne craque sous mes pas. Ce verre, issu de la forêt, retourne là d’où il vient. La boucle est bouclée. Mais pas mon circuit : je continue de m’enfoncer dans la forêt, sur ses chemins noircis par l’humus et blanchis par la chaux, pour explorer une autre facette.
Ici, par les siècles passés, le loup avait ses habitudes. Les forêts normandes étaient une terre de prédilection pour le prédateur, notamment parce que le bétail y était proche et abondant. Évidemment, je frissonne un peu en y pensant, là, dans ces chemins forestiers, où un loup a été aperçu il y a quelques mois, plus de cent ans après que le dernier de ses congénères ait été abattu. Je porte un regard compatissant en croisant cette petite chapelle, cachée par les hautes herbes, érigée en 1790 par un dénommé Pierre Dubos, « à l’endroit même où il fut assailli par une bande de loups » précise une plaque usée par le temps.
Il fallait une conclusion animale à cette randonnée minérale, qui offre une vision en kaléidoscope de la forêt. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir la forêt, à la humer, à l’arpenter, à la raconter aussi. Cette balade est la dernière au milieu des arbres, avant un retour sur le littoral. Mais comme la vie de Marie-Louise Angélique de Virgille de la Vicongne m’a interpellée, il n’est pas impossible que j’y revienne, ici ou ailleurs ;-) D’ici là, bonne rentrée à toutes et tous.